L' ISLAM SELON MAXIME RODINSON

Publié le par Jean-Pierre Biondi

Plusieurs Français figurent parmi les meilleurs orientalistes de ce temps : Massignon, Berque, Blachère, Rodinson. L' oeuvre de ce dernier retient l' attention dans la mesure où Juif, autodidacte et communiste, il a été l' adversaire du sionisme, été difficilement reconnu par l' Université, puis, in fine, exclu du Parti communiste.

Fils d' ouvriers polonais immigrés, Rodinson a appris près d' une trentaine de langues dont l' arabe, l' araméen, l' hébreu, l' éthiopien ancien ou guèze, l' amharique et le turc. Adhérent du P.C en 1937, il vit sept ans au Moyen Orient, refusant de rallier Israël, et en conflit avec les "dérives dogmatiques" de Moscou. Erudit indépendant, il se consacre à l' approfondissement et au rapprochement des disciplines qu' il étudie : l' ethnologie et l' histoire, la sociologie et l' orientalisme.

Il publie en 1961 une biographie de Mahomet qui fait date, puis " Islam et capitalisme" où il nie l' incompatibilité des deux idéologies. L' ouvrage suivant "Israël et le refus arabe" lui vaut de nombreuses injures et menaces de mort. " Moi qui espérais une option universaliste des Juifs, écrit-il, je constate que leur unité se fait dans le sens d' un nationalisme obtus". Et de poser en 1967 dans la revue de Sartre, "Les Temps Modernes", la question : "Israël, fait colonial ?". Hostile à l' essentialisme, il privilégie l' analyse des faits socio-économiques pris dans leur contexte historique, et se range à la solution, audacieuse à l' époque sur le sujet, des "deux Etats".

Voilà qui n' arrange pas tout le monde, à commencer par l' extrême droite, autrefois antisémite passionnée, qui surfe désormais sur "l' islamo-fascisme", à la grande joie des sionistes...On dénonce soudain le voile, la viande hallal dans les cantines, la situation de la femme musulmane à l' hôpital ou à la piscine, de l' adolescent maghrébin à l' école ou dans les prisons, les cléricaux se dépensent en faveur de la laïcité, les nostalgiques de Vichy (il en reste) pour la démocratie, des essayistes se lèvent qui proclament l' Identité en danger.

Le mérite de Rodinson est d' avoir, il y a des décennies déjà, renversé la problématique en la plaçant sur le plan du développement du Tiers-monde et du soutien, non du retard, que peut lui apporter l' Islam progressiste. Textes à l' appui,auxquels il adjoint Marx, Renan et Max Weber, il affirme que le Coran pris à la lettre n' est ni obscurantiste ni fataliste, mais sollicite au contraire le "djihad", qui signifie l' effort en général, non limité au sens guerrier actuel, qu' il ne récuse ni le commerce ni la propriété, mais seulement l' usage irrationnel des biens et une répartition injuste de ceux-ci, qu' il n' a pas engendré de bourgeoisie égoïste, mais prolongé contre la colonisation acculturante des traditions qui, il est vrai, ne sont pas encore toutes débarrassées de leur tonalité féodale.
Cette approche de la réalité islamique aurait pu épargner à nos gouvernants l' erreur de leur onéreuse politique d' immigration : la recherche d' une assimilation immédiate et forcée qui a poussé la seconde génération de migrants vers le salafisme.

La leçon non entendue de Rodinson est qu' une idéologie, religieuse ou politique, ne se moule jamais sur une société dans sa totalité. Ce sont les classes qui s' y constituent qui en dessinent le contour en un dialogue combattant non seulement l' "arriération", mais aussi la misère et la haine.

Publié dans culture

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