N'OUBLIONS PAS PASTOUREAU

Publié le par Jean-Pierre Biondi

J'ai un faible pour les oubliés et les méconnus de l'écriture parce qu'ils finissent emportés à jamais dans l'anonymat. C'est souvent injuste. On a dès lors envie de les ressusciter ou de les nommer.
Ainsi Henri Pastoureau (1912-1996), dont le patronyme est aujourd'hui connu à travers son fils Michel, historien de renommée internationale.

Rien ne prédisposait Henri Pastoureau, solide Normand originaire d' Alençon, à devenir poète surréaliste. Etudiant en philosophie à la Sorbonne, il rallie à 20ans la cellule communiste de l' entreprise Bréguet, voisine du mémorable phalanstère de la rue du Château (Paris XVème), où il ne tarde pas à rencontrer Louis Aragon.

Pastoureau est d'abord un surréaliste de ralliement militant (antifasciste) avant de devenir un surréaliste de tempérament. C'est la circonstance politique qui l' a rapproché des peintres et des poètes. Rapidement , son engagement idéologico-artistique empiète sur l' orthodoxie partisane. ll acquiert pour le trotskisme des penchants qui lui auraient valu, sous d'autres cieux, de sérieux ennuis, et se consacre à temps quasiment plein aux activités du Groupe, distributions nocturnes de tracts et sévères bagarres comprises.

Ses vrais débuts poétiques datent de 1936, avec " Le corps trop grand pour un cercueil", sous préface  labellisée de Breton qui reconnait là "la conciliation, chère à Lautréamont, du type raisonnant et du type agitateur". Ces lignes en effet, tracées sous la dictée de l' automatisme, "allient lyrisme et laconisme, humour noir et désarticulation du langage."
Deux autres recueils, jamais réédités, suivent: "Cri de la méduse"(illustré par son ami Yves Tanguy) et "La rose n' est pas une rose". La guerre, puis la détention, transforment Pastoureau, l' enseignant, en jardinier de banlieue prussienne (" Le Cycle de Berlin", 1988). Cette captivité le pousse à garder un contact hypothétique avec certains autres surréalistes comme Blanchard, Brauner ou Dominguez', et les responsables de "La main à plume", tentant clandestineme nt de  "sauver la flamme", tels Noêl Arnaud,futur membre de l' Oulipo, et Jean-François Chabrun. L' écrirure  est devenue nécessité. Il compose des poèmes inédits en allemand. Il approfondit Pascal et Baudelaire. Les retrouvailles avec Breton se passent mal. La nouvelle orientation du "Pape" vers l' ésotérisme (cf. "l' affaire Carrouges") rend la rupture inévitable.

Son exclusion du Groupe en mars 1951 laisse Pastoureau, comme d' autres avant lui, désemparé. Il revient à ses racines paysannes, sa vie surréaliste achevée. Parvenu  à la retraite, il quitte la Ville pour s' établir, contre l' avis des siens, dans un village perdu de Mayenne, Saint-Pierre des Nids. C' est là qu'il s'éteint, octogénaire, après avoir confié au journal local des souvenirs, que Maurice Nadeau réunit et publie en 1992, 4 ans avant la disparition du poète qui, loin des rumeurs, demandait encore:

                                       "Lilith quel âge avais-tu quand Eve s' éveilla?" (1)

                               

(1) Ma Vie surréaliste (éd.M.Nadeau)

Publié dans littérature

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