G. TARDE ET LA PSYCHOLOGIE SOCIALE

Publié le par Jean-Pierre Biondi

La psychologie sociale, qui passe souvent pour une science nouvelle, est en fait une vieille affaire. Le relais, avec une légère différence d' orientation, de chercheurs américains lui confère, de nos jours, un air de jeunesse imméritée et une aura scientifique repeinte à neuf.

De quoi s' agit-il ? de la façon dont nos pensées, nos émotions et par là nos comportements et attitudes, interagissent avec l' environnement humain. Au carrefour de la psychologie et de la sociologie, cette discipline mêle social et mental, analysant à ce titre, en priorité, l' engagement, la mise en condition, la manipulation de masse et les phénomènes sectaires, communautaires ou totalitaires. La littérature d' ailleurs ( Poe, Baudelaire, Zola, Huysmans, Céline) a, de son côté et de longue date, relevé l' alchimie produite par le rapport de l' homme avec la foule, de l' influence de tous sur chacun.

Auguste Comte, philosophe positiviste du XIXème siècle, prônant la "physique sociale", peut figurer comme un précurseur. Derrière lui, Gabriel Tarde et Gustave Le Bon balisent, dans les années 1890, en plein "naturalisme" donc, le terrain où apparaît pour la première fois le terme de "psychologie sociale".

Je m' attarderai ici sur Tarde, cible favorite de Durkheim, pour avoir placé la psychologie "au coeur de la sociologie", au grand dam de l' élite universitaire d' alors.

Tarde n' était pas philosophe de profession mais magistrat, en prise directe avec les misères de la réalité sociale. " Je fais des hypothèses", s' excusait-il. Son souci premier allait à un modèle plus rationnel de socialisation de l' individu. Lire Tarde, visionnaire appelant, tel Jaurès, jusqu' à sa mort en 1904 à une Paix dont on sait ce qu' il est advenu, n' a donc rien d' archaïque.

C' est si vrai que sa pensée a fait, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l' objet d' une attention aussi soutenue que tardive : de Raymond Aron à Michel Foucault et François Furet, de Régis Debray et Gilles Deleuze à Jacques Derrida, les éloges n' ont  pas fait défaut de la part de certains qui l' auraient peut-être combattu de son vivant.

A ceux qui, au nom de la pureté scientifique, le suspectaient de faire le lit de l' " Ordre moral ", Tarde, impassible, continuait d' opposer sa démarche essentiellement humaniste en un débat sans concession. Selon une logique rigoureuse, il récusait les "trouvailles intellectuelles travesties en faits sociaux" et ne se lassait jamais de dénoncer les "relents théologiques saupoudrant les théories les plus modernistes."

Il liait, fort de son expérience d' empires et de monarchies successives, sa conception du monde au respect des Droits de l' Homme, susceptibles de freiner une "barbarie endémique".

Ce disant, Tarde n' a pu que dénoncer en vain les options d' où allaient inéluctablement découler les pires dictatures. On ne l' a guère écouté. Pour autant, ses propositions ne semblent pas périmées.
 

 

Bibliographie :

Gabriel Tarde : Les Lois de l' imitation. (l' imitation comme lien social) 

Gustave Le Bon : La Psychologie des foules. (sur l' âme des foules)

Serge Tchakhotine : Le Viol des foules. (la propagande politique)

Serge Moscovici : L' Age des foules.  (sur Tarde, Le Bon et Marx)

Jean-Pierre Biondi :  Foules. (poèmes sur "les groupes de l'instant")

Publié dans société

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