Le parcours limpide de Kikoïne

Publié le par memoire-et-societe

Il y a chez moi un tableau qui représente un poulet à demi déplumé, sur un coin de table. Près de l' animal des tomates, un petit pot bleu. Fond de briques rougeâtres. Des visiteurs s' approchent, cherchent à décrypter la signature, puis finissent par demander : "C'est un Soutine?"

Non, ce n' est pas "un Soutine", mais une oeuvre de Kikoïne. On raconte que quand ils étaient ivres, les deux jeunes peintres signaient l' un pour l' autre, en frères. Peut-être le tableau est-il alors de Soutine signé Kikoïne, autrement dit un faux Kikoïne et un vrai Soutine ?

Chaïm Soutine est une star de la première "Ecole de Paris". Michel (Mikhaïl) Kikoïne demeure moins coté, encore que de plus en plus prisé, notamment en Asie et dans son pays d' origine, la Biélorusse (partie ouest de la Russie devenue indépendante depuis la chute de l' URSS), où il a vu le jour en 1892. A 20 ans, il fait, comme Chagall, Kisling, Brancusi, Marcoussis, Lipchitz, Krémègne, Pascin, Mané-Katz, Survage, Zadkine, et plusieurs centaines d' autres artistes juifs d' Europe de l' est, le voyage sans retour à Paris, capitale des Arts.

Il s' installe, bien sûr, à "La Ruche", le phalanstère des "Montparnos", au fond du XVème arrondissement. et dès sa première exposition personnelle en 1919 est remarqué par la critique et les collectionneurs. Bientôt, il a la révélation de la lumière méditerranéenne qu' il va croiser avec celle d' Annay sur Serein, dans l' Yonne, où il a acquis une maison. A la fin des années 20, Kikoïne est "lancé". Le cubisme, le surréalisme, l' abstraction n' ont pas dérangé la régularité de son pas. Il est fidèle à ses premiers maîtres, Rembrandt, Chardin, Courbet, tout en se référant à l' expressionnisme, au fauvisme, aux nabis.

Pour autant, petit-fils de rabbin et naturalisé français, il n' oublie jamais son éducation judaïque et la tradition paysagiste russe. Sa palette s' enrichit en outre des effets de ses multiples séjours en Provence, puis en Israël où il est considéré comme un Soutine optimiste, témoin accompli d' un parcours qui l' a conduit, à l' instar de Foujita ou de Modigliani, via les "Années folles", d' un bourg perdu aux hautes marches de la reconnaissance artistique. Il meurt en 1968 à Cannes alors que viennent de retomber à Paris les clameurs de la révolte.

P.S. Le fils de Michel Kikoïne est le peintre Jacques Yankel, ex professeur à l' Ecole des Beaux-Arts de Paris.

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