JUNG

Publié le par Jean-Pierre Biondi

Carl Gustav Jung, fils de pasteur luthérien et psychiatre suisse, d' abord disciple de Freud avec lequel il a rompu dès 1913, a-t-il été complice du nazisme? Difficile d' aborder, une fois de plus, la question quand cette oeuvre connait une écoute renouvelée dans l' univers intellectuel (1).

Jung s' est toute sa vie référé à son appartenance à la culture germanique, jusqu' à se présenter comme descendant (illégitime) de Goethe. Son essai " Wotan", dieu païen de la mythologie allemande, en fait foi. De là à lui prêter une inclination pour l' idéologie national-socialiste prônant la supériorité de l' "instinct collectif aryen", il n' y a qu' un pas que les milieux intellectuels juifs ont franchi, assorti d' un immédiat soupçon d' antisémitisme.

Qu' en conclure avec le recul du temps? Pour les antitotalitaires, les choix de Jung, élu en 1933 à la présidence de la " Société allemande de psychothérapie" puis, dans la foulée, de l' "Institut Mathias Goering", cousin d' Hermann, étaient clairs. Pour d' autres au contraire, tel Cimbal, médecin nazi plus radical, les positions du Suisse demeuraient ambivalentes. D' autant que, selon des révélations ultérieures, le théoricien de la "Psychologie analytique" aurait financé l' exfiltration d' Allemagne d' intellectuels juifs, dont celle du psychiatre français Roland Cahen, qui aurait "oublié" de remercier Jung du service rendu, sans doute jugé compromettant (Cahen a cependant fini par traduire le chercheur alémanique dans notre langue). Mieux encore : Jung a été  chassé en 1940 de l' Institut Goering pour avoir publié dans la revue américaine "Heart's international Cosmopolitan" de Yale, un article qualifiant Hitler de "psychopathe" et prédisant son suicide. Fin 1942, le savant figurait dans les archives des Services secrets alliés sous le matricule "agent 488".

L' hypothèse du "double jeu", comme ce fut alors le cas avec des responsables nazis (voire des politiciens français) n' est pas à négliger. Quoique son statut de notable d' un pays neutre mît Jung à l' abri de tout danger. Une interrogation subsiste : l' ambiguïté de l' intéressé durant la période nazie pourrait-elle découler plus ou moins directement de sa brouille avec Freud? Aurait -on affaire à une querelle d' ego à retombées politiques entre deux monstres sacrés?

Il est vrai que, plus jeune de vingt ans que son rival, le psychiatre zürichois a apporté au travail de Freud des compléments puis des contradictions d' importance. Non seulement il a contesté la libido ou désir sexuel comme unique source de la psyché, mais il a mis au jour des concepts inédits tels que l' inconscient collectif, le complexe ou l' individuation. La surenchère coutumière aux "entourages" aidant, le conflit théorique et personnel a pris une ampleur disproportionnée.

Sous couvert de procès idéologico-moral, l' oeuvre de Jung a donc connu une longue disgrâce. Elle revient aujourd'hui sur scène, après réhabilitation publique par des créateurs aussi marquants que Picasso, Pollock ou Fellini. Cela se justifie dans la mesure où, par-delà la violence non zappable de l' Histoire et les susceptibilités froissées, se rencontrent et s' articulent deux intelligences du monde :  celle de la psychanalyse, tout entière ramassée sur notre sexualité, et celle, plus accessible à l' espace de l' "âme" (terme junguien), de la psychologie analytique.

 

(1) Les Nazis ont aussi revendiqué Heidegger, Nietzche et Wagner.

Publié dans culture, actualité

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