SANTELLI, IN MEMORIAM

Publié le par Jean-Pierre Biondi

J' ai rencontré Claude Santelli pendant les événements de mai 68 à l' ORTF. Nous étions du même côté de la barricade. En grève pour défendre la liberté d' expression contre un régime qui, par l' intermédiaire de ses "ministres de l' Information", Peyrefitte puis Guéna, avait mis sans vergogne la main sur le Service public de la radio et de la télévision, nous risquions tous notre emploi. D' ailleurs, une "épuration" et une grêle de "mises au placard"  plus ou moins longues conclurent effectivement le mouvement. Mais ceci est une autre histoire.

J' avais été frappé par la simplicité, la générosité d' esprit, et l' attitude fraternelle de Santelli qui comptait parmi les grandes figures d' une télévision d' auteur, non encore happée par les lois de l' AUDIMAT. Contrairement à d' autres "stars", lui ne jouait pas de sa notoriété pour influer sur l' Intersyndicale qui siégeait jour et nuit et d' où les soucis corporatistes n' étaient pas toujours absents.

Il ne haussait jamais le ton et ne se revendiquait pas à tout bout de champ d' un  "auditoire populaire" auquel pourtant ses valeurs l' attachaient profondément, son oeuvre est là pour le prouver. Fils d' un enseignant corse, Lorrain de naissance, il avait surgi un peu par hasard sur les plateaux de la télévision encore héroïque des années 1950.

C' était le comédien Jacques Fabbri qui lui avait mis le pied à l' étrier comme scénariste d' émissions "jeunesse", aux côtés d' un autre inconnu, Jean-Christophe Averty. Premier succès du réalisateur en 1957 avec "Le Tour de France de deux enfants", qui inaugure le genre du feuilleton télévisé .

La série suivante, "Le Théâtre de la jeunesse", collectionne les lauriers. Santelli ouvre aux garçons et aux filles les portes du patrimoine littéraire, de Maupassant à Cervantès, de Diderot à Jules Verne ou Mark Twain. Puis une suite de 39 épisodes vient illustrer, dans "Les Cent livres des hommes", les portraits d' écrivains comme Malraux, Stendhal, Proust (dans lequel Isabelle Huppert effectue ses premiers pas), Jack London, entre autres.

Le style de Santelli est déjà reconnaissable par ses mouvements de caméra lents et étendus, ses travelling audacieux, ses nombreux plans-séquences qui réduisent les travaux de montage et donnent au récit une impression particulière de fluidité.

Aussi l' objectif du combat majeur de Santelli était-il, dès mai 68, la survie d'un pouvoir de création face au déferlement des productions d' images standardisées à l' américaine et comptabilisées par une vague de néo gestionnaires issus de l' ENA et d' HEC. Contre cette industrialisation autoritaire, il défend, dix ans durant, à la tête de la "Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques" et de sa filiale, l" Association Beaumarchais", la cause de " l' exception française", source de bien des polémiques.

Hélas, Claude Santelli a connu, à 78 ans, la mort la plus cruelle. Faisant répéter, en septembre 2001, "La Flûte enchantée" sous le chapiteau du cirque Grüss dans une scène prévoyant, selon Mozart lui-même, "l' entrée d' animaux sauvages", il est brutalement renversé par un éléphant. Dos brisé, il décède trois mois plus tard à l' hôpital de Garches, emportant avec lui  la poésie du spectacle télévisé artisanal qu' il avait su imposer jusqu' à la fin de ses jours.

 

 

Publié dans culture

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C
Bonjour, je me permets de réagir en lisant votre article. J'ai été en résidence au cirque Grüss et Santelli aimait beaucoup Syndha, l'éléphante en question. Elle lui rendait bien. Elle l'a levé de terre pour jouer et c'est un accident absurde certes, mais je ne crois pas qu'il y ait aucune cruauté. Bien cordialement.
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