L' individu et le gouverné

Publié le par memoire-et-societe

   L'ambiguité des sociétés contemporaines ne cesse de s' affirmer. Alors que l' homme, au sens générique, marque son désir d' autonomie, la société exige de lui une intégration croissante. Situation qui en fait un Janus moderne, tendu vers l' individualisme d' un côté, englouti par l' addition des servitudes règlementaires de l' autre.
   Cet écartèlement entre tropisme libertaire et formatage citoyen est la source de tensions multiples. L' ego, pris dans le maillage serré des interdits, contrôles et sanctions, cherche à s' en libérer comme il peut. D' où des comportements marginaux allant de la dérive délinquante, dans le pire des cas, à la simple dérobade, dans le meilleur.
   La démotivation, la démission, le repli, deviennent significatifs de l' époque. Ainsi l' absence scolaire -et, pourquoi le cacher, l' absence scolaire dans les milieux  défavorisés, notamment immigrés- est un fait notoire. L' école a cessé d' être ressentie comme un moyen de promotion pour devenir une contrainte institutionnelle, n' ouvrant guère de perspective. La débrouille, les petits boulots, voire les combines et les trafics, sont perçus plus immédiatement fiables et rémunérateurs.
   L' absentéîsme professionnel, quant à lui, surtout dans les branches réputées pénibles et mal payées, telles le bâtiment et l' hôtellerie, connait une hausse constante. Arrêts-maladie, absences non justifiées, abandons définitifs du  travail  se multiplient. L' automation, la mécanisation, la substitution à tout dialogue de la  rigidité hiérarchique, éloignent les salariés d' un réel intérêt pour leurs tâches. Le manque de  possibilité créatrice détache le producteur de ce qui est produit. L' abstentionnisme électoral enfin (40% aux élections de mai et juin 2012 ) illustre un recul récurrent de l' esprit civique et de l' attention portée à l' administration de la Cité.

   Tout cela traduit à vrai dire une sourde montée de la protestation et l' approfondissement du fossé entre des valeurs officielles ( l' Ecole, le Travail, l' Etat- nation ), les " élites",  et les masses populaires. Les grandes agitations révolutionnaires ne semblent  pas d' actualité. L' heure est plutôt au repliement personnel, au recul des solidarités, à la perte de confiance dans les corps intermédiaires ( le taux de syndicalisation dans le privé en France est de moins de 5%¨), qui affaiblissent les représentations, écartent silencieusement la population des pouvoirs, et sont censés figurer une sorte de revanche contre l' oppression sociale.
    La crise est aussi le révélateur d' autrechose que la crise, de  plus ancien, de plus malsain, qui transcende les rituels clivages partisans et sépare le citoyen de l' organisation du Corps social et de son fonctionnement. Quand l' individu ne se reconnait plus dans le gouverné, la sirène commence à retentir.

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