La pan-subversion de Maurice Sachs

Publié le par Jean-Pierre Biondi

" Subversif:: qui est de nature à troubler l' ordre social " (le Larousse)

Maurice Ettinghausen, né à Paris en 1906, était juif, athée et homosexuel. Son grand'père, Georges Sachs, courtier en bijoux, dreyfusard. Son père, Maurice ne le connaîtra jamais. Sa mère, recherchée pour escroqueries, l' abandonne pour se réfugier à Londres sans lui. Faux orphelin, il choisit le nom de Sachs et s' infiltre, adolescent fauché, dans les cercles de la débauche mondaine avant de confier au philosophe catholique Jacques Maritain l' appel d' une vocation susceptible de sauver son âme et de gommer ses dettes..

On le recommande au séminaire des Carmes, rue d' Assas, où son séjour s' achève en scandale de moeurs : il a enlevé sur la Côte d' Azur le jeune Pinkeron dont la maman veut porter plainte pour détournement de mineur. On étouffe le coup. Rendu à la vie séculière sans sa soutane de chez Lanvin, beau parleur, tapeur incorrigible et pique-assiettes invétéré, Sachs entame une solide carrière d' arsouille, roulant, se faisant rouler, qui finit par l' obliger à s' exiler non à Londres mais à New York .Il y est galeriste, puis "conférencier",, se targuant d' amitiés qu' il n' a jamais eues, avec Proust, Coco Chanel, Picasso ou Aristide (Briand), selon le public.

Puis il se convertit au protestantisme afin d' épouser Gwladys Matthews, fille d' un influent pasteur presbytérien avant, trois ans plus tard, de rentrer sans un sou en France accompagné seulement de son jeune amant, Henry, un acteur débutant rencontré à Hollywood.

Sachs a déjà tout appris des salons littéraires parisiens, courtisanerie, bluff, copinage, par les soins d' Abel Hermant, Cocteau et Gide. On l' aide à publier un premier roman chez Gallimard, "Alias" grâce à Paulhan, puis chez Denoël, éditeur de Céline, un libelle alimentaire, " Thorez et la victoire communiste", politiquement nul. Max Jacob, qu' il calomniera bassement, l' accueille en frère dans sa thébaïde de Saint-Benoit sur Loire. Sachs se fait aussi quelques fidèles ennemis, tel Jouhandeau, auquel répugne cet individu adipeux et lécheur.. Subsistant parallèlement par les plus sordides combines et les plus minables larcins (jusqu'à piquer les petites cuillères dans les dîners en ville), Sachs se voit si harcelé par les créanciers qu' il ne trouve rien de mieux que de se faire interner provisoirement dans un hôpital psychiatrique avec l' inlassable espoir de la venue d' un mécène misant sur son génie artistique.

Il sort encore de là sans retomber sur ses pieds. Toujours des expédients, des trafics, des vols. En 1940, quelque , chose d' un peu plus stable : un job à "Radio Mondial", station qui se donne pour objectif d' inciter les U.S.A à entrer en guerre contre les Nazis. Boulot, à l' évidence, sans lendemain. Bien que juif, il parvient à passer entre les gouttes jusqu' à fin 42, en personnage louche, adonné au marché noir et au recel d' objets volés aux riches familles israëlites en fuite. Mais il sait qu' il ne s'agit que d' un sursis, et file se planquer en Normandie avec Violette Leduc qu' il fait passer pour son épouse.
Vivre à la campagne, et qui plus est avec une femme, est vraiment trop pour Sachs. Que faire? il s' engage au " Service du Travail Obligatoire", le fameux S.T.O, organisé par Vichy, qui l' affecte à Hambourg. C' est là qu' il devient "indic" de la Gestapo parmi les colonies d' ouvriers français, soupçonnées de communisme potentiel..

Cependant, la trahison ne lui réussit pas non plus. A force de mentir et de fabriquer de faux rapports de délation à ses patrons, ceux-ci l' expédient en pénitence au camp de Fuhlsbüttel, l' isolant pour lui éviter d' être égorgé par ses victimes qui l' y attendent. Sachs en profite alors pour solliciter la nationalité allemande, n' hésitant pas à se revendiquer de la consonance germanique du nom de son père et, bien sûr, des services déjà rendus. Il y écrit aussi "Derrière cinq barreaux", publié en France en 1952.

Le camp est évacué sur Kiel en avril 1945 en raison de l' approche des troupes alliées. Le transfert ne peut s' opérer qu' à pied. Le troisième jour de marche, Sachs, tout de suite épuisé, s' avère incapable de suivre. Un S.S l' abat d' une balle dans la tête. Il avait 39 ans.

C' est seulement à partir de 1946 que ses principales oeuvres, "Le Sabbat" (Prix Sainte Beuve) et "La Chasse à courre", sont .publiées et saluées avec force par la critique (notamment par Maurice Nadeau dans "Combat", le journal de Camus). L' aventurier cynique jouit alors de l' auréole du martyr de la barbarie hitlérienne. Il se dévoile surtout un chroniqueur sans indulgence, y compris pour lui-même, et un peintre cruel des élites de la vie culturelle entre 1925 et 1940 à Paris.. Le comble de la subversion n' est-il pas de hurler plus fort que les loups, et de "cracher le morceau" sur la farce de la société des hommes? Mais ne faut-il pas également quelque haine de soi pour parvenir à déballer, ainsi qu'il l' a décrite, sa propre abjection? La réponse, qu' on n' entendra jamais, appartient à la troublante complexité de cet amoraliste et, au fond, perturbateur intégral.

A lire : Henri Radzymov, "Maurice Sachs ou les travaux forcés de la frivolité" (Gallimard,1988)

Prochain article : Dieppe 42 (histoire)

Publié dans littérature

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