SUR LE CORPORATISME

Publié le par Jean-Pierre Biondi

La pensée et l' organisation corporatistes, privilégiant l' association du capital et du travail, menacent-elles aujourd'hui le syndicalisme de contestation? Le débat n' est pas neuf mais connait une certaine actualité, car les concepts évoluent avec les mutations qui touchent le monde de l' entreprise.

Sans remonter aux Corporations du Moyen Age, abolies par la Révolution qui ne voulait aucun intermédiaire entre le Citoyen et la Nation, on peut mesurer les profondes transformations de structure à l' oeuvre dans la réalité du travail.

Historiquement, la succession des régimes politiques, puis l' avènement de la société industrielle bouleversant les rapports de production, avaient commencé à rebattre les cartes. Etaient, dès 1868, apparues les "Trades Union Congress" (TUC), premières formes en Angleterre de fédéralisme syndical appelé à défendre l' ensemble des travailleurs, et non plus à se limiter à la seule protection d' un métier. En France, c' est en 1895, avec la naissance de la CGT, que s' est structuré un mouvement de classe confirmé en 1906 par la "Charte d' Amiens",  bible des syndiqués  de l' Hexagone.

Parallèlement s' engageait une âpre concurrence entre tenants d' un néo corporatisme incarné par le catholicisme social d' Ozanam et l' Encyclique "Rerum Novarum", prônant la négociation patrons-ouvriers pour le bien de l' entreprise, d' une part, et les partisans d' une lutte de classe tendant à collectiviser les moyens de production et d' échange, d' autre part.

C' est de la première de ces options que se sont inspirées les doctrines sociales fascistes, puis franquistes et pétainistes. En 1941, Vichy incitait les ouvriers à "abandonner la pratique des coalitions et les références à la classe" pour leur substituer la Famille et l' Entreprise. Tardive mais savoureuse revanche sur ceux qui, à l' image de Waldeck Rousseau en 1884, avaient légalisé la création des syndicats, tous dissous dès 1940. Les Ordres professionnels  libéraux (médecins, architectes, notaires, etc, que Mitterrand s' était d' ailleurs engagé à dissoudre dans ses " 110 Propositions " électorales de 1981), ont alors bénéficié d' une reconnaissance décuplée. En célébrant si ostensiblement les corporations, le gouvernement du Maréchal entendait marquer le retour aux  traditions ante (et anti)-républicaines.

Les principaux théoriciens de la relance corporatiste avaient été, dès la fin du XIXème siècle, l' économiste libéral Frédéric Le Play et le député chrétien Albert de Mun qui avaient clairement cible l' adversaire : l' Esprit des Lumières et les Idées socialistes. Ces "pionniers" n' ont cessé de trouver depuis des relais actifs. Dans les années 1930, le "planisme" du belge Henri De Man, le "néo-socialisme" de Marcel Déat, l' Institut  d' études corporatives et sociales de Bouvier-Ajam, co-auteur de la Charte du Travail de Vichy, ont animé le courant que le RPF a rejoint après la Libération avec la formule de participation Capital-Travail des "gaullistes de gauche" Vallon et Capitant. Son héritier actuel semble être le professeur de Droit du travail au Collège de France, Alain Supiot.

Le néo-corporatisme il est vrai, n' a plus trop besoin de guerroyer, comme il le fit entre les deux guerres mondiales, contre le syndicalisme contestataire de masse, sinon d' un point de vue idéologique qui ne soucie que les spécialistes. Les divisions internes, querelles de boutiques et réflexes de méfiance réciproques des Syndicats établis se chargent d' assurer la paisible survie d' une doctrine "collaboratrice" discrètement bénie par la Hiérarchie. 

Publié dans société

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