Senghor poète

Publié le par memoire-et-societe

   On n' entend aujourd'hui évoquer Léopold- Sédar Senghor que comme ex- parlementaire et ministre français puis, pendant vingt ans (19606-80 ), président de la République d' un Sénégal devenu indépendant après trois siècles de colonisation. Lui  écrivait pourtant , un an avant son départ du pouvoir : " On m' a quelquefois posé la question : s' il fallait choisir, que voudriez-vous sauver de votre triple vie d' homme politique, de professeur et de poète ? J ' ai toujours répondu: mes poèmes. C' est là l' essentiel."

   Des poèmes engagés, à égale distance du caporalisme littéraire et de l' art pour l' art acculturé, qui tiennent en un maître mot : l' amour de l' Afrique sublimée, avec des sous-thèmes qui se nomment le Royaume d' enfance, le Pays noir, la Mère et la Femme, amour d' une Afrique bafouée à laquelle Senghor se jure de rendre dignité. Les " badoolos ", ces broussards avec lesquels il a partagé l' émerveillement de ses années villageoises, et, plus tard, la tristesse du stalag, il entend rapporter leurs peines et leurs espoirs en " versets des fleuves, des vents et des forêts ", et en " woys ", proses rythmées chantées dans les savanes, dont on trouve des relents dans le rap actuel. Ces textes, nourris d' allusions à la mythologie sérère ( ethnie paternelle de Senghor ) et de références structurelles à la musique de jazz, relèvent d' une incantation séculaire scandée par le tambour. Le rythme, l' image, analogie ou symbole, sont les rênes de l' attelage.

   Les " Lettres d' hivernage ",  publiées en 1973, renouvellent la démarche poètique. Senghor a 67 ans. S' il reprend ses thèmes habituels, il intériorise davantage son discours, sans renoncer un instant à sa visée universelle. Le poème est une sorte de confidence, à l' abri des verdures fournies par la saison des pluies ( juin-septembre ).Tout évolue dans un clair-obscur permanent, un va-et-vient furtif où rien n' est indiqué mais où  on  laisse deviner que les lettres à la femme aimée ( son épouse européenne absente ) font écho à la symbiose qui  englobe  la destinataire et le climat  dans une harmonie en "noir et blanc ".

   Les "Lettres d' hivernage " affirment  donc la complémentarité humaine dans l' Etre-au-monde, sans souci de couleur de peau. L' image se fait conciliante, dépasse les contraires pour créer une expression véritablement  métisse que les illustrations  réalisées par Chagall éclairent d' un bleu irisé. "Les " Elegies majeures ",  adieu poètique senghorien, six ans plus tard, achèvent le mouvement. L' inspiration historique s' efface derrière la poursuite de la réflexion sur  l' Universel  et  la Transcendance.

   Lisez. Certes, Senghor a joué  sa partition dans la Décolonisation, la bataille du Développement, le Dialogue des cultures, la recherche de la Paix. Il reste aussi, avec Aimé Césaire, son frère antillais, un des plus grands poètes noirs contemporains. Lisez. Faites  lire.

Publié dans littérature

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