L'abstention est-elle marginale?
L'article de ce blog intitulé "Premier Parti de France", écrit le 15 septembre 2011 et republié en date du 26 janvier 2012, évoquait le problème récurrent et croissant de l' abstention électorale. A quelques jours des Présidentielles, les sondages confirment : un Français sur trois envisage de ne pas aller voter. Non qu' il se désintérêsse de la politique, nécessaire au fonctionnement d' une société, mais parce qu' il est las de s' associer à un système dont il perçoit qu'il ne répond ni aux réalités économiques ni aux exigences minimales de la morale publique.
Bien sûr, la seule abstention ne saurait être une solution aux besoins d' orientation, d' organisation et d' administration d' une formation sociale quelle qu' elle soit. Elle marque un coup d' arrêt, un tournant encore non violent. S' abstenir, c' est refuser de coller une rustine de plus sur un pneu usagé,tout en tenant compte des griefs régulièrement opposés à cette attitude : reniement de l' âpre combat des Anciens pour la conquête d' un droit d' expression fondamental, manque de solidarité avec des peuples qui luttent aujourd'hui encore pour arracher une liberté qui nous parait aller de soi..
Moins qu'une condamnation , la question réclame une élucidation politique, s' agissant d' un phénomène qui s' impose peu à peu à la vie nationale. Le mot national n' est pas neutre : le droit de vote ne signifie pas la même chose partout et tout le temps.Il n' a pas une valeur identique en Birmanie et en France, et, pour un Français, le même poids en 2012 qu' en 1945.
L' abstention actuelle a des causes que la classe politique ne veut pas voir:
1. L'absence de charisme de ses leaders. La droite n'a jamais trouvé de dauphin à de Gaulle et la gauche de successeur à Mendès-France.C' est loin. Le recul est patent, émaillé de scandales multiples et répétés, incarné par le déclin général du pays et de troubles rapports de ses responsables à l'argent .De Gaulle et Mendès n' ont pas été indiscutables, non, ils ont engendré haines et calomnies, mais ils forçaient quelque part le respect. Notre peuple a besoin d' admirer pour reprendre confiance. Il n' y a hélas pas de candidat avéré à ce porte vacant.
2.On a les dirigeants que méritent les institutions : d' ou la crise de la représentativité. L' inadaptation de nos structures aux exigences de la mutation contemporaine est flagrante. Mais personne n' ose toucher à l' équilibre savant des intérêts corporatistes, résister à la pression ou au chantage des lobbies, faire fi du clientèlisme, remettre en cause privilèges et passe-droits, tenir ferme le discours de l' intérêt général .Nos dispositions électorales, qui placent le pays en situation d' attente permanente ( élections européennes, présidentielles, législatives, sénatoriales, régionales, cantonales, municipales, à des dates différentes et pour des mandats de durée inégale), fruit d' un invraisemblable et ruineux "mille feuilles" à prétention décentralisatrice, déconcerte le citoyen, au demeurant mal informé des responsabilités précises de ces foules de gestionnaires, et lui laisse une impression de gaspillage de l'argent public dont on ne cesse, par ailleurs, de lui seriner qu' il fait cruellement défaut.
3.Enfin, le découragement populaire que reflète ce taux élevé d' abstentions, le sentiment répandu d' abandon et d' impuissance, expriment le mal-être qu' induisent le règne de l' ultralibéralisme, la financiarisation d' essence anglo-saxonne de l' économie avec ses délocalisations tous azimuts,son chômage endèmique et, de façon globale, sa vision marchande de la planète.
L' abstention, dans ce cadre, n'est pas une démission, mais s'affirme un geste annonciateur éminemment politique. Elle somme le Prince de respecter l' homme avant de satisfaire l' actionnaire, d' honorer le producteur avant de flatter le spéculateur.Elle en appelle à ceux qui s' apprêtent à aller déposer dans une urne faussement transparente un bulletin d' adhésion à leur propre aliénation.