Haïti au coeur

Publié le par memoire-et-societe

   Douloureux destin que celui de cette  île des Caraïbes, victime d' une colonisation et d'un esclavage également impitoyables. Depuis le 5 décembre 1492, jour où Colomb a débarqué sur ce bout de terre nommé Ayiti  par les Taînos, ses habitants vite exterminés, le lieu, constamment ravagé par la violence, les cyclones,la famine et les épidémies, semble maudit.

   Sans entrer dans le détail, rappelons que la partie occidentale, colonie française baptisée Saint-Domingue, est devenue, suite à la révolte menée par Toussaint Louverture et à l' abolition provisoire de la servitude par la Convention en 1794, la première nation noire indépendante dix ans plus tard sous son nom d' origine, Haïti.Indépendance handicapée notamment par une incessante instabilité politique et trente ans d' occupation par l'armée des Etats-Unis(1915-34). Cette situation a trouvé sa conclusion dans la dictature en 1957 de Duvalier père, dit "Papa Doc", et la terreur engendrée par ses hommes de main, les " tontons macoutes".

   Alors a débuté l' exil de l' intelligentsia haïtienne, étonnamment nombreuse pour un pays de quelques millions d' habitants parmi les plus pauvres du monde. Trois directions principales: New york  ou  Montréal au nord, Paris évidemment,

 enfin, grâce à l' hospitalité de Senghor, Dakar au sud.

   C' est dans cette dernière ville que j' ai connu plusieurs représentants,écrivains et artistes, de l' émigration intellectuelle haïtienne dont nul ne parlait en France.Ainsi Roger Dorsinville, qui devint un excellent directeur littéraire des Nouvelles Editions Africaines. Comme auteur, il a étroitement uni dans son oeuvre (11 volumes ramassés sous le titre "Rites de passage"), Senghor et Louverture,c'est-à-dire  un fort sentiment de la nègritude et la nostalgie de la " perle des Antilles", son pays natal où il est finalement retourné mourir après  la chute de Duvalier junior en 1986.

   Même aventure pour Jean-Fançois Brierre (ami de jeunesse de Jacques Roumain, auteur du célèbre "Gouverneur de la rosée", mort à 37 ans, sans doute empoisonné) promu directeur des Arts et Lettres du Sénégal,  dont les nombreux et riches poèmes, parsemés d' images surréalistes, mêlent  le mal du pays et les références à l' Afrique-mère. Et voici encore Félix Morisseau-Leroy,issu d' une grande famille de journalistes, biographe de Dessaline, le " père de la nation haïtienne".  Traducteur de Sophocle en créole,il s'est recyclé comme professeur de lettres. Puis Gérard Chenêt, condisciple de Jacques Stephen Alexis et de René Depestre, deux romanciers ayant acquis la stature internationale, le premier avec "Compère Général Soleil" qui frôla le prix Goncourt, le second avec "Hadriana dans tous ses états " qui obtint le Renaudot.Globe-trotter de la révolte, Chenêt  finit  par se fixer il y a quarante ans à Toubab Dyalaw, au sud de Dakar, où il a créé pour les artistes africains une sorte de villa Médicis, Sobo Badé, dotée d' un poètique théâtre de verdure. 

   La colonie culturelle haîtienne, effet inattendu de la dictature, a compté également un couple talentueux d' artistes de la scène : lui, Lucien Lemoine, poète et dramaturge, avait profité de la venue à Dakar de la troupe de Jean-Marie Serreau qu'il accompagnait pour "oublier" de repartir ; son épouse, Jacqueline Scott-Lemoine, a été l' inoubliable reine de la pièce d' Aimé Césaire, "La tragédie du roi Christophe", et a joué des années, au théâtre Daniel-Sorano, Shakespeare et Ousmane Sembène, Molière et Birago Diop.

   Tous sont morts aujourd'hui, ayant gardé, imprègnée du sol retrouvé des Ancêtres, Haïti au coeur.

 

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R
Riche de culture que j'avale avec délectation!!!<br /> Je ne savais rien de la culture haïtienne au Sénégal.
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