Conscience malheureuse

Publié le par memoire-et-societe

   "Conscience malheureuse ", la formule est de Friedrich Hegel dans " Phénoménologie de l' Esprit " (1807) pour désigner le sentiment de frustration et d' impuissance qu' éprouve une conscience quand elle n' obtient pas d' être reconnue pour ce qu' elle est, ne parvient pas en somme à mettre au diapason l' idée d' elle-même et sa présence au monde, condition de sa survie.
   Conscience malheureuse, voilà  bien comme il convient de  qualifier aujourd'hui en termes philosophiques ( on parlerait peut-être de phobies ou d' état semi-dépressif en termes psychologiques ), la situation de citoyens qui, pour des raisons diverses, souffrent d' inadaptation. Ils paraissent  à première vue relever de deux catégories définies : les enfants des seconde et troisième générations d' immigrés d' une part, les diplômés illustrant la fuite des cerveaux que la France avait su éviter jusqu'ici, d' autre part.

   La question du déni culturel chez de jeunes immigrés nés dans l' hexagone est répertoriée. Elle a fait l' objet de maints rapports, articles et  colloques. Les pères avaient aspiré à l' égalité assimilante que promettait la République. La conscience malheureuse des fils refuse la référence à leur statut  juridique national, aux institutions qui en dépendent et  à leurs symboles ( hymne, drapeau ). Entre temps, l' épaisseur d' une politique d' intégration manquée ( rejets racistes, chômage, conditions d' accueil  précaires, clivages culturels ).

   On mesure les conséquences de ce déni : ghettoîsation, communautarismes opposés à la  visée  théorique consensuelle de la République, dépit et rancoeur qui conduisent les uns à la délinquance, d' autres au désir de reconquête identitaire à travers l' exaltation religieuse. Ainsi  retrouve-t-on de ces Français-non Français combattant  sur des théâtres d' opération où  ils peuvent, armes à la main,  affronter les Occidentaux : Irak, Afghanistan, Syrie, Mali, créant en outre, dans leur pays natal, un abcès de fixation  par la menace d' un terrorisme domestique que nourrit encore la crise économique. N' y a-t-il pas  là matière à s' interroger ?

   C' est une autre forme de la conscience malheureuse que vivent de leur côté de jeunes  Français "souchiens"  bardés de diplômes, qui remettent en question la capacité de leur pays à proposer un avenir conforme à leur attente. L' appel d' un Ailleurs, fréquent chez les Jeunes et devenu accessible grâce aux facilités de la mondialisation, s' accompagne désormais du sentiment que la France, où les fonctionnaires se reproduiraient  par génération spontanée, est une nation sclérosée, rongée par des querelles de clocher, figée dans des hiérarchies immuables freinant et décourageant initiatives et novations. Un flux de candidats à l' exil met le cap vers des horizons lointains et réputés libéraux où, semble-t-il, le pragmatisme balaie les tracasseries paperassières, les règlementations tâtillonnes et  une surfiscalité paralysante : les Etats-Unis, le Canada, l' Australie, voire, pourquoi pas, la Chine communiste ... Adieu  l' Europe et  ses "anciens parapets " évoqués par Rimbaud !

   Quand un(e) jeune me fait part de son intention de s' expatrier, je ne le contrarie pas. Qu' il ou elle  parte faire son expérience : nous vivons dans la sublimation de la réussite  individuelle par l' esprit d' entreprise ! Et la sacralisation du pragmatisme n' est-elle pas le plus récent remède à la conscience malheureuse identifiée il y a plus de deux siècles par Hegel, père,lui, de l' Idéalisme ?

 

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C
The unhappy consciousness that is discussed in the article is there in all of us. This is due to the present living condition and the world issues that lead us. I have felt this personally and this is because of the state of mind that brings us to the state of frustration and helplessness. The reasons may be many but the effect is same in all the cases.
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