Paradoxe

Publié le par Jean-Pierre Biondi

La colonisation n' a pas été qu' affaire d' aventuriers partis chercher fortune outre-mer en pillant et en asservissant. Elle a impliqué également des femmes et des hommes laborieux, sincèrement désireux de contribuer à la modernisation et au développement global de pays alors jugés comme "inférieurs". Inférieurs à un modèle "universaliste", parce que basé sur les Grands Principes de la Révolution française, donc, d' une certaine façon, ethnocentré.
Ainsi de nombreux enseignants, médecins, religieux, chercheurs, se sont-ils assignés pour tâche de "hisser" des sociétés "en retard" au niveau "avancé" qui était celui de leur propre pays.

Cette démarche, qualifiée d' assimilationniste, a été le choix politique de la colonisation française. Que rêver, pensait alors un progressiste, de mieux pour le colonisé que d' en faire un Français à part entière, parlant, pensant, vivant comme son bienfaiteur proclamé? Un tel projet impliquait un important appareil administratif où des milliers de fonctionnaires de tous grades s' appliquaient à transposer fidèlement l' organisation et les méthodes métropolitaines pour la théorique promotion de l'indigène.

Certes, l' intéressé demeurait tatoué par son origine, mais l' espoir lui était offert de devenir à terme le quasi égal de son colonisateur. La bonne volonté à ce propos était partout : le drapeau tricolore flottait sur les bâtiments officiels comme dans n' importe quelle préfecture, les noms des rues célébraient les grands personnages d' une prestigieuse Histoire importée, les frontières faisaient l' objet d' un découpage jusque là inconnu mais révélateur de l' attention flatteuse portée aux ressources des territoires.

Le Parti socialiste SFIO lui- même, dénonçant dans ses congrès et par la bouche de ses leaders, les excès du colonialisme, réclamait inlassablement pour les contrées ultramarines plus d' intégration civique, plus d' égalité sociale, plus de fraternité raciale ( alors que le mouvement communiste avait pris au contraire position en faveur de l' indépendance immédiate).

Ce genre de baiser au lépreux n' était en revanche pas la tasse de thé de la colonisation anglaise. Là où les Français construisaient des bureaux es des missions, les Britanniques ouvraient des comptoirs commerciaux et des agences bancaires. Quand la SFIO discourait sur les perspectives de l' assimilation, le Parti travailliste optait pour l' association et la non ingérence dans des affaires locales souvent indémêlables avec leurs questions de castes, de tribus et d' ethnies. Un business avisé était préférable à dix ronds de cuir impuissants.

Aussi, l' irruption du problème des Indépendances n' a-t-elle pas eu les mêmes effets dans les possessions françaises et dans les dominions de Sa Majesté. Mounbatten, en Inde, a laissé sans heurt le pouvoir à Nehru. En Indochine, il a fallu huit ans de guerre sanctionnés par la défaite de Dien Bien Phu pour permettre à Ho Chi Minh d' accéder à la tête du Nord Vietnam. L' indépendance de l' Algérie dite française a provoqué un drame historique. Celle de l' Egypte n' a guère remué l' Angleterre, qui avait déjà de longue date négocié son retrait.

Aujourd' hui les historiens font leur miel de la fin des Empires européens. Et c' est là qu' émerge le paradoxe: tandis qu' on loue le "respect" britannique de l' identité du colonisé qui n' était en réalité qu' une indifférence plutôt méprisante ( pas de métissage, par exemple), on condamne l' oppression culturelle française ( l' éternel french bashing) qui se voulait au fond une main tendue, fidèle à l' esprit des "Lumières". Ce type de retournement historique n' est pas exceptionnel. Il peut laisser parfois, aux plus convaincus, un léger goût d' amertume.

Publié dans histoire

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C
récit intérressant car ayant passer une année en anglettre , juste aprés la guerre, je me trouver dans une famille indou à londres , j'ai vu les difficultées qu'il avait pour ce faire accepter à l'époque.jc
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