Les rencontres de Fernand Fleuret, poète

Publié le par Jean-Pierre Biondi

Fernand Fleuret était Normand militant, né en Lorraine. Après une adolescence rêveuse dans les pensionnats religieux, de Flers, dans l' Orne, où il est apprenti imprimeur, il entre en contact avec un Parisien, Charles-Théophile Féret, chantre attitré de la "patrie normande". Fleuret s' enthousiasme pour cette prose qu' il compare à celle de Barbey d' Aurevilly. En retour, tel Verlaine avec Rimbaud, Féret convoque d' urgence le jeune Fernand à Paris.

Les choses tombent bien, le grand'père de Fleuret, son tuteur, vient de se suicider, et sa grand'mère décide de déménager en banlieue parisienne. Il a 21 ans et y débarque, assuré du gîte et du couvert. Il publie peu après un libelle à compte d' auteur, "Quelques autres", célébrant les "imprécateurs" Baudelaire, Mirbeau et Bloy. Fiasco complet. Féret l' aide à entrer au "Petit Journal" comme grouillot, au tarif de 150 francs par mois, puis lui présente deux artistes hâvrais débutants : Othon Friesz et Raoul Dufy.

Dufy pousse Fleuret à écrire et celui-ci incite Dufy à se lancer dans l' illustration. "Friperies", le second recueil de Fernand, tiré à 100 exemplaires, est un nouveau et total insuccès L' auteur commence à déprimer et se fait virer de son boulot. Il échoue sans le sou à Marseille, entrainé par Friesz et Dufy. C' est alors qu' il se souvient avoir au Cap d' Ail une marraine et cousine inconnue, Gabrielle Réval, de 13 ans son aînée, professeur sèvrienne, écrivaine, veuve et propriétaire aisée d'une villa baptisée "Mirasol". Il accourt. Elle s' éprend sans difficulté de la fantaisie angoissée de ce blondinet, le réconforte, et lui ouvre son carnet d' adresses. Un vrai conte de fées.

Il ne rentre à Paris que fin 1908 pour retrouver ses habitudes à la Bibliothèque Nationale, rue Richelieu. Il y découvre un voisin de table, famélique producteur de romans licencieux, Guillaume Apollinaire. Ils deviennent vite complices, montant des canulars littéraires ou suivant les femmes dans la rue en leur récitant des poèmes de leur crû. Fleuret écrit une introduction pour "L' Hérésiarque" et Apollinaire présente au Normand les poètes dits "fantaisistes" qu' il fréquentera avec assiduité.

La gloire ne venant toujours pas, nouveau et logique saut au Cap d' Ail. Il y épouse la cousine Gabrielle avant de regagner la capitale pour la publication de "L' Enfer de la Bibliothèque Nationale", bibliographie élaborée durant cinq ans, avec l' ami Guillaume, des livres érotiques interdits par la B.N à la communication. Cependant Apollinaire s' intéresse de plus en plus au cubisme, conversion que Fleuret juge teintée d' opportunisme alors que lui demeure fidèle à Carco, Mac Orlan et Derême. Gabrielle par ailleurs ne lui cache pas son antipathie pour les "légèretés" et facéties d' Apollinaire.

En 1914, Guillaume s' engage. Fernand est réformé. Mais la guerre, pas plus que l' art, ne tue leur amitié. A l' enterrement du poète d' "Alcools", en 1918, Fleuret se retrouve aux côtés de Cendrars, devenu manchot, de Picasso et de Cocteau. Il continue néanmoins de défendre la prosodie traditionnelle que sont en train de piétiner allègrement les dadaïstes, et de confectionner des ouvrages érudits et libertins dans l' esprit d' autrefois. Il engage simultanément le fer contre la Critique, qui le snobe, et la Morale bourgeoise. Surtout, il s' alcoolise. Ses compagnons de beuveries nocturnes sont Robert Campion " poète déporté pleurant les pommiers en fleurs", le fin lettré Maurice Garçon, dont Fleuret ignorera par bonheur le statut ultérieur et éliminatoire d' Académicien, et le redouté polémiste Georges de La Fouchardière.

Mais il perd pied peu à peu, vit dans la fiction, s' enferme dans la misanthropie. Son ménage se désagrège. Il pond en quelques semaines " Les Derniers plaisirs" , roman qui lui vaut en 1924 une voix au Goncourt, celle d' Elémir Bourges, autre grand dépressif. Il ne cesse plus de boire et d' écrire : des Etudes sur Gilles de Rais, Sade ou Baudelaire, des Histoires (sur Raton, une Normande victime de la prostitution, sur Jim Click, personnage de film fantastique), des Pamphlets anarchisants, des Pièces jamais montées, en se dissimulant, à la manière de Pessoa, derrière de multiples identités. La presse l' éreinte, sauf "Le Crapouillot" dont le directeur, Gus Bofa, devient son ultime ami.

Féret est mort, et Gabrielle. L' état mental de Fleuret achève de se dégrader. Il ne sort plus, tirant des coups de révolver dans son couloir pour effrayer les voisins. Il atterrit à l' hôpital psychiatrique où il va vivre six ans. A son trépas, en 1945, affluent soudain les hommages : d' André Billy, de Pascal Pia, de Maurice Nadeau, de Jean Paulhan. Fleuret essuie cependant un tout dernier échec : il n' est pas enterré en Normandie, mais au cimetière du Père Lachaise.

Publié dans littérature

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C
trés bon récit bravo pas de répit pendant la tréve des confiseurs ,bonne année pour 2015 jc amitiée
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